Petite leçon de choses avant d’entrer dans le vif de notre premier sujet de l’année 2015, l’alimentation de saison. Imaginez un verre contenant de l’eau très sale. Ajoutez-y un peu plus de saleté, vous ne verrez aucune différence. Imaginez à présent ce même verre, mais dont l’eau aurait été en grande partie purifiée. L’eau est plus claire. Ajoutez-y la moindre saleté, vous verrez immédiatement les traces qu’elle laissera dans l’eau. La purification de la physiologie fonctionne de la même façon. Si le corps est encombré d’ama, mangez ou non des aliments de saison ne fera pas grande différence. Lorsque vous commencerez à éliminer ama et que votre digestion se raffinera, le moindre écart par rapport à cette recommandation clé de l’Ayurvéda, à savoir manger ce qui a poussé pendant la saison, aura un impact visible. Respecter ce précepte de l’Ayurvéda est crucial même si n’est pas aussi facile qu’il y parait. Le choix des fruits et des légumes de saison demande une grande vigilance car, aussi bien les petits commerces que les hypermarchés, proposent des fruits et des légumes venus des quatre coins de la planète. Les fêtes de fin d’année nous ont donné un aperçu fort coloré de cette philosophie d’approvisionnement. En dehors des fêtes, elle reste de mise, y compris dans les commerces « bio » où l’on vous vend le plus innocemment du monde de la banane venue de Côte d’Ivoire ou de la tomate poussée en Espagne et dont le goût n’a rien à voir avec celui de la tomate d’été. Même constat pour tout ce qui aura poussé sous serre, ou carrément hors sol !
Pourquoi manger des aliments de saison ? La seule raison avancée par l’Ayurvéda tient à la santé : les aliments de saison sont plus faciles à digérer car ils sont l’expression des lois de nature de la saison et du lieu dans lequel nous vivons. Ils apportent les nutriments dont le corps a besoin en cette saison. L’Ayurvéda rappelle qu’il n’y a que trois saisons pendant lesquelles les aliments poussent : le printemps, l’été et l’hiver. La science commence à mieux comprendre les fondements de cette recommandation depuis qu’a été découverte l’existence d’une microbiologie propre à chaque saison. Inutile donc d’essayer de digérer une salade de tomates en plein hiver, même avec l’aide de quelques rondelles de gingembre ! Cette règle d’une alimentation de saison s’applique aussi bien à l’homme qu’à l’animal, plus respectueux des lois de la nature. Les herbivores changent radicalement d’alimentation en fonction de la saison. Et, comme lors d’un ballet parfaitement synchronisé, les micro-organismes nécessaires pour bien digérer la récolte d’une saison se développent pendant la saison et changent à la suivante. C’est aussi simple que cela ! Les bactéries pour digérer les feuilles tendres et les racines amères du printemps peuplent l’estomac des ruminants au printemps et disparaissent à l’été. La population de micro-organismes qui se nourrit de fruits et de légumes l’été est remplacée par une nouvelle population qui digère les fibres de bois dès l’arrivée de l’hiver. Un cerf nourri au maïs ou aux légumes verts à feuilles au cœur de l’hiver va voir son acidité augmenter de façon incontrôlable, produisant des gaz, voire une indigestion qui peut s’avérer mortelle. Ainsi, tout herbivore qui mange des aliments hors saison provoque un changement dommageable de la microbiologie qui nuit à la digestion et peut mettre sa vie en danger.
De la même manière, la digestion de l’homme dépend des micro-organismes du tractus intestinal, qui représentent 90% des cellules du corps humain. Ils changent en fonction de l’alimentation et de la saison. Les aliments hors saison perturbent la flore de l’intestin et du système digestif. Ces micro-organismes composent le microbiome du corps humain. Ils proviennent de la terre qui nourrit les plantes que nous mangeons. Ainsi, selon la saison, chaque plante attire à elle certains micro-organismes bénéfiques issus du sol. Plantes et micro-organismes bénéficient l’un de l’autre. Quand nous mangeons un légume de saison, nous consommons ses éléments nutritifs ainsi que les micro-organismes qu’il a attirés. Cette symbiose entre plante et micro-organismes implique que les aliments de saison doivent avoir poussé proche de chez nous, car ce qui pousse en automne en Espagne n’a rien à voir avec ce qui pousse en automne dans le nord de la France. Manger selon la saison implique donc nécessairement de manger ce qui a été cultivé proche de chez nous, dans un climat similaire et sur un sol comparable à ceux que l’on trouve près de chez nous. Opter pour une alimentation de saison, c’est aussi opter pour des fruits et légumes moins chers, moins traités, plus gouteux et plus riches en antioxydants. L’idéal est qu’ils arrivent à maturité au soleil avant d’être cueillis, ce qui ne peut s’envisager que si vous avez votre propre jardin. Dans le cas contraire, et pour d’évidentes raisons commerciales, fruits et légumes – de saison ou hors saison, bio ou non bio – mûrissent le plus souvent pendant leur transport jusqu’au lieu de chalandise. Que faire ?
Rassurez-vous, le problème n’est pas nouveau ! Déjà, dans l’Egypte ancienne, les agriculteurs cueillaient les figues quand elles étaient encore vertes et en ouvraient quelques-unes afin d’amener le lot à mûrir plus vite par effet d’entrainement. En Chine, il était de courant de brûler de l’encens dans les chambres de stockage de poires vertes afin de les faire mûrir. Aujourd’hui, dans de nombreux pays, les agriculteurs brûlent du kérosène pour chauffer leurs hangars. C’est en 1924 que Frank Denny, expert auprès du ministère américain de l’Agriculture découvre que les fruits mûrissent plus rapidement lorsqu’ils sont exposés à de l’éthylène. Il a découvert non seulement que l’encens des chinois en contenait en quantité infime, mais que tous les fruits émettaient de l’éthylène gazeux lorsqu’ils commençaient à mûrir. Les animaux fructivores sont capables de détecter l’odeur de l’éthylène des kilomètres à la ronde. Ils respectent ainsi la recommandation de l’Ayurvéda qui est de consommer des fruits lorsqu’ils sont bien mûrs. Vous pouvez faire de même avec de l’encens du commerce afin de manger des fruits bien mûrs. Assurez-vous seulement de choisir un encens ne contenant que des substances naturelles[1]. Pour les légumes qui ne sont pas arrivés à maturité au soleil, le problème est moindre. La cuisson à feu doux porte le légume à maturité comme s’il avait été exposé au soleil. Si vous utilisez le légume pour faire un jus, notamment pendant la journée liquide (voir à ce sujet http://la-voie-de-l-ayurveda.com/journee-liquide-le-jeune-version-ayurveda/), attendez quand même qu’il soit mûr.
En allant la prochaine fois faire vos courses, ayez tous ces paramètres à l’esprit. Les aliments de saison répondent mieux aux besoins de notre physiologie. Avec le froid et le faible ensoleillement de l’hiver, notre corps réclame plus de nutriments alors que notre système immunitaire a besoin d’un petit coup de pouce. Evitez donc les belles tomates de l’étal de votre marchand, préférez les légumes d’hiver plus riches en minéraux : betteraves, navets, carottes, céleris, choux, brocolis, courges, blettes, fenouils, panais, salsifis, radis, etc. Laissez tomber le raisin ou les fraises venus par avion d’Afrique du Sud. Préférez les agrumes de saison qui sont pleins de vitamine C : oranges, citrons, etc. Lorsque l’été sera là, changez radicalement vos habitudes d’achat car, avec la chaleur ambiante, le corps a besoin de plus d’eau. Magnifique. Fruits et légumes d’été sont gorgés d’eau : melon, salade, tomate, concombre, courgette, fruits rouges, etc. ! Manger plus d’aliments crus est parfaitement adapté à la saison chaude, du moins si vous avez un puissant feu digestif. Une fois cette « gymnastique mentale de la saison » intégrée, il suffira de lui ajouter la règle des six goûts pour faire vos courses en accord avec les principes de l’Ayurvéda.
Rappelons que les goûts doivent être équilibrés en fonction de votre constitution, mais aussi de la saison. Le plus simple consiste à utiliser le churna[2] adapté à votre constitution ou au dosha dominant pour la saison en cours. Ce mélange d’épices peut servir à saupoudrer les plats chauds ou assaisonner des préparations au départ de la cuisson. Vous pouvez aussi jouer directement sur le goût des aliments : blé et riz apportent la douceur, le sel de roche apporte le goût salé, le gingembre ou le poivre apportent le piquant et la tomate ou le citron le goût acide. Reste à apporter l’amer et l’astringent, des goûts auxquels notre société est moins habituée. L’amer se trouve dans les légumes verts, le curcuma, les graines de fenugrec, l’orge, le basilic ou la laitue. L’astringent se trouve dans la pomme, la grenade, la poire, le quinoa, les légumineuses, le choux, le tofu, etc. Dans la mesure où le doux, le salé, l’acide et le piquant sont faciles à intégrer dans un repas, il suffit d’inclure des aliments amers et astringents quotidiennement pour avoir les six goûts en toute saison. Les personnes qui ont besoin d’équilibrer Pitta et Kapha sont particulièrement concernées[3]. L’amer aide à équilibrer Pitta et Kapha en diminuant la rétention d’eau et en favorisant la décongestion du foie. Il nettoie et apaise les brûlures et les démangeaisons. En excès, il aggrave Vata et déshydrate le corps. Le goût astringent purifie le sang et contribue ainsi à l’équilibre de Pitta et Kapha. En excès, il favorise les gaz et la constipation. Si dans votre région, vous avez du mal à trouver des légumes verts en hiver, une cuillère à café de graines de fenugrec ou de curcuma sera une bonne alternative pour obtenir plus de la saveur amère si vos doshas Pitta et Kapha sont déséquilibrés.
Bon appétit !
Jo Cohen
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[1] Les marques Suraj et Satya (Nag Champa) offrent des encens entièrement naturels. On peut en acheter en gros à des prix défiant toute concurrence au magasin El Tchaikhana, 168 rue Saint Maur, 75011 Paris
[2] Le Churna est un mélange d’épices apportant les six goûts dans des proportions adaptées au dosha Vata, Pitta ou Kapha.
[3] Notons que sous la pression de l’industrie agroalimentaire, le régime qui tend à se généraliser, y compris en France, favorise le goût qualifié d’« aigre-doux » : produits doux à base de blé (pain, pates, etc.), doux et acides à base de lait (crèmes glacées, desserts lactés, yaourts, fromages, etc.) et acide et piquant à base de tomate et de piquant (ketchup, sauces piquantes, etc.). Ce régime, dont les hamburgers et les pizzas sont les dignes fleurons, déséquilibre fortement Pitta et Kapha.
Très instructifs,
cependant, vu qu’il nous faut consommer des produits locaux, faut-il donc abandonner les rasayanas ? Parce que ces élixir de longévité sont des produits venant de l’étranger, poussant sur un sol différents… etc
Chaleureusement.
Bonjour Ludovic
Ta question est pertinente. Disons que les Rasayanas ne sont considérés comme de l’alimentation de base. ILs ont en outre subi de très nombreuses transformations afin d’apporter des qualités particulières qui « transcendent le temps ».
Bonne journée
Jo
Bonjour Jo
Merci pour cet article très intéressant et qui nous rappelle quelques règles d’alimentation
Je ne savais pas que l’on pouvait faire mûrir les fruits avec de l’encens, je suis un peu étonnée.
amicalement
Jacqueline
Bonjour Jacqueline
Les chinois faisaient ça autrefois. On peut tester…ou attendre, la patience a aussi du bon!
Cordialement
Jo
Rebonjour Jo
je voulais vous demander si le triphala ghrita est la même chose que le triphala ?
si non, où peut on acheter ce triphala ghrita ?
qu’est ce qu’une lampe de ghee ?
merci pour les réponses
amicalement
Jacqueline
Bonjour Jacqueline
As-tu essayé de trouver tes réponses avec un autre moteur de recherche que google ? J’utilise duckduckgo et je trouve ce moteur de recherche plus pertinent que le « grand » google ;).
A propos, Jo Cohen j’aurais une question sur l’amrit kalash. Dans la traduction française de la caraka samhita il est déconseillé de consommer la nuit, les produits provenant du laits caillé, l’amalaki et d’autre produit. Du coup, faut-il consommer ce rasayana matin et midi ou seulement le matin ?
Merci d’avance.
Amicalement.
Merci Ludovic pour le tuyau
j’essaierai duckduckgo,c’est vrai qu’on a tellement l’habitude d’utiliser Google
amicalement
Jacqueline
Rebonjour Ludovic
L’amrit se prend le matin et en fin d’après midi, si possible avant la méditation.
Jo
Merci pour ces réponses.
Oui Jacqueline, le Triphala Ghrita est un ghee dans lequel il y a une préparation au triphala. Il y en a sur de nombreux sites internet.
La lampe de ghee : c’est un pot de ghee où trempe une mèche en coton qui brûle.
On en voit dans les « Pujas ».
Jo